avenir_religion.pdf

(85 KB) Pobierz
Émile Durkheim (1914)
« L'avenir de la religion. »
Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron,
Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec
et collaboratrice bénévole
Courriel:
mailto:mabergeron@videotron.ca
Site web:
http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"
dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi
Site web:
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque
Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi
Site web:
http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
Émile Durkheim (1914), «
L'avenir de la religion
»
2
Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole,
professeure à la retraie de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec
courriel:
mailto:mabergeron@videotron.ca
site web:
http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin
à
partir de :
Émile Durkheim (1914)
« L'avenir de la religion. »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article d’Émile Durkheim
«L'avenir de la religion » —
Le sentiment religieux à l'heure actuelle,
troisième
entretien : la conception sociale de la religion, Vrin, 1914, pp. 97-105. Texte d'une
communication faite à la séance du 18 janvier 1914 de “l'Union de libres penseurs et
de libres croyants pour la Culture morale”.
Polices de caractères utilisée :
Pour le texte: Times, 12 points.
Pour les citations : Times 10 points.
Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.
Édition électronique réalisée avec le traitement de textes
Microsoft Word 2001 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format
LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)
Édition complétée le 28 mai 2002 à Chicoutimi, Québec.
Émile Durkheim (1914), «
L'avenir de la religion
»
3
L’avenir
de la religion
Par Émile Durkheim (1914)
Mesdames et Messieurs, je suis confus de l'honneur qui m'est fait et de
l'invitation qui m'est adressÉe. C'est seulement dans le courant de l'après-midi
que M. Abauzit, averti que je ne pourrais assister qu'au début de cette
séance
1
, est venu me demander de vous adresser quelques paroles. Je vous
apporte donc l'expression tout à fait improvisée d'une pensée qui, elle, ne l'est
pas mais qui aurait voulu pourtant se présenter à vous sous une forme diffé-
rente. D'ailleurs je me garderai bien d'anticiper sur le sujet que M. Belot doit
traiter ce soir. C'est déjà de sa part une très grande condescendance que de
vouloir bien me permettre de prendre la parole avant lui et je l'en remercie.
Mais puisqu'il se propose d'examiner devant vous un livre que j'ai récemment
publié sur certaines formes de la vie religieuse, je voudrais essayer de vous
indiquer très brièvement dans quel esprit je souhaite être étudié et, ensuite,
discuté. Et puisque cette assemblée comprend deux sortes d'éléments, libres
penseurs d'un côté, libres croyants de l'autre, je vous demanderai la permis-
sion de m'adresser à chacun d'eux séparément.
Je m'adresserai d'abord aux libres penseurs, c'est-à-dire
aux hommes qui gardent leur entière liberté d'esprit en face de tous les
dogmes, même en face de ceux que l'on a quelquefois décorés du beau nom de
1
Séance du 18 janvier 1914 de l' « Union de libres penseurs et de libres croyants pour la
Culture morale ».
Émile Durkheim (1914), «
L'avenir de la religion
»
4
libre pensée. Pour leur faire comprendre ce qu'il y a d'un peu particulier dans
les conceptions que j'ai développées, je leur demanderai de porter surtout leur
attention sur une particularité de la vie religieuse qui, sans doute, n'est pas
ignorée du croyant mais que le libre penseur ne soupçonne pas toujours assez
et qui, pourtant, contient la vraie caractéristique de la vie religieuse.
Le plus souvent, les penseurs qui ont entrepris de traduire la religion en
termes rationnels n'y ont vu ou n'y ont guère vu qu'un système d'idées, un
système de représentations destinées à exprimer telle ou telle portion du réel
telle que le sommeil, le rêve, la maladie, la mort ou les grands spectacles de la
nature. Or, quand on ne voit dans la religion que des idées ou quand on y voit
principalement des idées, il semble vraiment que l'individu ait pu l'édifier par
ses seules forces. Sans doute, ces représentations ont quelque chose de décon-
certant, elles ont comme un caractère mystérieux qui nous trouble. Mais, d'un
autre côté, nous savons par expérience que les combinaisons mentales sont si
variées, si diverses, si riches, si créatrices qu'a
priori
nous faisons crédit à
l'esprit et nous acceptons volontiers, par avance, que la pensée ait pu, de
toutes pièces, inventer ces merveilles. Seulement et quoique les idéaux reli-
gieux aient, par eux-mêmes, des caractères spéciaux, ce n'est pas de ce côté
qu'il faut aller chercher ce qu'il y a vraiment de spécifique dans la religion.
La religion, en effet, n'est pas seulement un système d'idées, c'est avant
tout un système de forces. L'homme qui vit religieusement n'est pas seulement
un homme qui se représente le monde de telle ou telle manière, qui sait ce que
d'autres ignorent ; c'est avant tout un homme qui sent en lui un pouvoir qu'il
ne se connaît pas d'ordinaire, qu'il ne sent pas en lui quand il n'est pas à l'état
religieux. La vie religieuse implique l'existence de forces très particulières. Je
ne puis songer à les décrire ici ; rappelant un mot connu, je me contenterai
d'en dire que ce sont ces forces qui soulèvent les montagnes. J'entends par là
que, quand l'homme vit de la vie religieuse, il croit participer à une force qui
le domine, mais qui, en même temps, le soutient et l'élève au-dessus de lui-
même. Appuyé sur elle, il lui semble qu'il peut mieux faire face aux épreuves
et aux difficultés de l'existence, qu'il peut même plier la nature à ses desseins.
Ce sentiment-là a été trop général dans l'humanité, il a été trop constant
pour qu'il puisse être illusoire. Une illusion ne dure pas ainsi des siècles. Il
faut donc que cette force que l'homme sent venir à lui soit réellement exis-
tante. Par conséquent, le libre penseur, c'est-à-dire l'homme qui se donne mé-
thodiquement comme tâche d'exprimer la religion par des causes naturelles,
sans faire intervenir aucune espèce de notion qui ne soit pas empruntée à nos
facultés discursives ordinaires, un tel homme doit se poser la question reli-
gieuse dans les termes suivants : de quelle partie du monde de l'expérience
peuvent lui venir ces forces qui le dominent et qui, en même temps, le
sustentent ?
On comprend très bien que ce n'est pas en essayant d'interpréter tel ou tel
phénomène naturel qu'il nous a été possible de faire venir à nous un pareil
afflux de vie. Ce n'est pas d'une représentation erronée du sommeil ou de la
mort qu'ont jamais pu surgir des forces de cette nature. Le spectacle des
grandes puissances cosmiques ne peut davantage avoir produit cet effet.
Émile Durkheim (1914), «
L'avenir de la religion
»
5
C'est là, comme vous le savez peut-être, l'explication rationnelle la plus
haute qui ait été proposée de la religion. Mais les forces physiques ne sont que
des forces physiques : par conséquent, elles restent en dehors de moi. Je puis
les voir du dehors ; elles ne me pénètrent pas, elles ne viennent pas se mêler à
ma vie intérieure. Je ne me sens pas plus fort, mieux armé contre les destinées,
moins asservi à la nature parce que je vois les fleuves couler, les moissons
germer, les astres accomplir leurs révolutions : il n'y a que des forces morales
que je puisse sentir en moi, qui puissent me commander et me réconforter. Et
encore une fois, il faut que ces forces soient réelles, qu'elles soient réellement
en moi. Car ce sentiment de réconfort et de dépendance n'est pas illusoire.
Ainsi déterminé, le problème se pose donc dans des termes assez simples.
Pour expliquer la religion, pour la rendre rationnellement intelligible — et
c'est ce que propose le libre penseur — il faut trouver dans le monde que nous
pouvons atteindre par l'observation, par nos facultés humaines, une source
d'énergies supérieures à celles dont dispose l'individu, et qui pourtant puissent
se communiquer à lui. Or je demande si cette source peut être trouvée ailleurs
que dans cette vie très particulière qui se dégage des hommes assemblés. Nous
savons en effet par expérience, que, quand les hommes sont réunis, quand ils
vivent d'une vie commune, de leur réunion même surgissent des forces excep-
tionnellement intenses qui les dominent, les exaltent, portent leur ton vital à
un degré qu'ils ne connaissent pas dans la vie privée. Sous l'effet de l'entraî-
nement collectif, ils sont parfois saisis d'un véritable délire qui les pousse à
des actes où ils ne se reconnaissent pas eux-mêmes.
Je ne puis songer à exposer ici, même succinctement, les analyses et les
faits sur lesquels j'ai appuyé cette thèse fondamentale. Je me bornerai seule-
ment à avertir ceux de mes auditeurs qui ne m'ont pas lu que cette manière
d'entendre et d'expliquer la religion, si elle ne se présente pas comme une véri-
té démontrée, ne repose pas cependant sur des vues purement dialectiques. Ce
n'est pas une hypothèse abstraite et purement philosophique. Mais, dégagée
des faits et de l'observation historique, elle a déjà inspiré plus d'une recherche
particulière qu'elle a guidée utilement : déjà elle a servi à interpréter, dans des
religions diverses, des phénomènes divers ; elle a donc subi l'épreuve de
l'expérience et prouvé ainsi sa vitalité.
Mais je m'abstiens d'insister sur les raisons qui militent en faveur de la
conception qui vous sera exposée tout à l'heure en toute impartialité, j'en suis
sûr, et discutée avec une égale liberté. L'unique objet que je me propose est de
vous préparer à écouter cet exposé et cet examen ; il ne m'appartient pas de
l'anticiper. En résumé, ce que je demande au libre penseur, c'est de se placer
en face de la religion dans l'état d'esprit du croyant. C'est à cette condition
seulement qu'il peut espérer la comprendre. Qu'il la sente telle que le croyant
la sent, car elle n'est véritablement que ce qu'elle est pour ce dernier. Aussi
quiconque n'apporte pas à l'étude de la religion une sorte de sentiment reli-
gieux ne peut en parler ! II ressemblerait à un aveugle qui parlerait de cou-
leurs. Or, pour le croyant, ce qui constitue essentiellement la religion, ce n'est
pas une hypothèse plausible ou séduisante sur l'homme ou sur sa destinée ; ce
qui l'attache à sa foi, c'est qu'elle fait partie de son être, c'est qu'il ne peut y
renoncer, lui semble-t-il, sans perdre quelque chose de lui-même, sans qu'il en
résulte une dépression, une diminution de sa vitalité, comme un abaissement
de sa température morale.
Zgłoś jeśli naruszono regulamin